Je rentre tout juste d’un voyage de six mois. Pause professionnelle avec deux objectifs : grimper aux U.S.A. et découvrir l’Amérique latine, continent où je ne suis jamais allé.
Après quatre mois, me voilà à Salta, dans le nord-ouest argentin. 21h, terminal de bus pour retourner au Chili, à San Pedro de Atacama (et son célèbre désert éponyme). Avant d’embarquer, nous devons remplir à l’avance les documents pour la douane. Cela nous fera gagner du temps le lendemain matin, quand il faudra sortir du bus à 5h à la frontière chilienne, dans le froid… Je remplis donc les éléments demandés et je vois deux Français arriver en décalé.
— Vous devez remplir le formulaire de la douane.
— Ah ok, merci. Tu n’étais pas à Mendoza aussi ?
Visiblement, nous suivons le même trajet, et cela va se poursuivre : à la suite de notre discussion, ces deux jeunes vont me proposer de me joindre à eux pour leurs deux jours au Chili, dans le désert. Nous parlerons, et ils me feront part de leur plan : gravir, avec un guide, le Huayna Potosí (6088 m) depuis La Paz, en Bolivie.
Une chose m’a manqué pendant ce voyage : l’alpinisme, la neige et les montagnes. Et, sans l’avoir organisé, je rêvais de faire un sommet de la cordillère des Andes pendant mon trip. Maintenant, j’avais un nom de montagne et le contact WhatsApp d’une agence de guides. La goutte de poison était dans mes veines : impossible de résister. Deux semaines plus tard, à 8h du matin, je toquais à la porte d’une agence à La Paz pour partir trois jours en haute montagne.
Après un transfert en fourgonnette (collectivos en langue locale !) de plus d’une heure, nous voilà en route pour le camp de base. Arrêt photo. Petite claque : la face que nous voyons me semble particulièrement inhospitalière, mais… quelle beauté.
Nous reprenons la route et, quelques minutes plus tard, nous voilà au camp de base. J’ai lu beaucoup de récits d’alpinisme, écumé des refuges alpins, mais c’est ma première fois dans un “base camp”. Petit pincement au cœur !
Un repas rapide, et nous partons pour le glacier, pour la journée école de glace. Rapidement, je me rends compte d’une chose : tous les autres participants sont de purs novices de la haute montagne, et je suis le seul à savoir mettre et utiliser des crampons. Nous “apprenons” à marcher, et la journée se termine par le clou du spectacle : un petit mur de glace en moulinette. Très divertissant pour les novices. Content de retrouver les piolets, je multiplie, en parallèle du groupe, les jeux piolets à la main. Cela me fait un bien fou, un vrai régal !
Mais la vérité me rattrape le soir : la suractivité du jour, couplée à un séjour prolongé en altitude, me donne un mal de crâne carabiné. Avec une barre me traversant le front, le soir à table, impossible de manger… ou très peu. À cela se mêle la peur de l’altitude. Tous novices, nous baignons dans l’inconnu. Quels aliments vaut-il mieux manger ? Manger beaucoup ? Peu ? Entre les on-dit et les envies de chacun, les assiettes se vident plus ou moins. En tout cas, pas la mienne. Et derrière, les guides surveillent qui mange ou non…
Réveil : la libération. Le paracétamol et/ou le temps ont fait effet : mon mal de crâne est parti.
Au petit déjeuner pourtant, l’appétit, lui, n’est pas vraiment revenu. Un bout de pain, du thé chaud. Ce n’est pas beaucoup, mais je me rassure en me disant que ce matin, nous ne faisons rien à part préparer les sacs. Il restera le repas du midi pour manger avant le camp 1.
Malgré l’altitude qui pourrait impressionner, il n’y a pas de neige à 4700 m. Nous partons donc légers, avec toutes nos affaires pour l’ascension dans le sac. Pas de corde, mais les sacs restent tout de même lourds. Mention spéciale pour les chaussures d’alpinisme fournies par l’agence : il s’agit de vieux modèles en plastique, mélange entre une chaussure de ski et une botte d’alpinisme. Chaudes mais lourdes !
Repas du midi : la faim est toujours absente. Un peu de riz, de l’avocat. Quand je repense à comment je peux manger avant une randonnée, je sais que je vais puiser dans les réserves en montant.
Début de randonnée : nous voilà partis pour 2h30 de montée. 4700 m > 5200 m. 500 D+ ce n’est normalement pas beaucoup, mais c’est la première fois que je monte aussi haut. Mon petit Mont Blanc à 4810 m me semble bien loin. Aujourd’hui, je commence à randonner quasiment à son altitude ! Chaque pas sera donc un record personnel. Les guides veillent à maintenir un rythme lent et constant (vitesse de tortue… enfin, de tortuga !). Le groupe se tient, même si certains déclarent que c’est l’effort le plus dur de leur vie.
Arrivé au camp 1, je suis content : pas de mal de crâne pour le moment, et j’ai tenu le rythme suggéré par les guides. Première étape validée. Le temps de se reposer, un petit goûter composé de pop-corn (vraiment ?!) et, pour remercier tous nos efforts, une vue splendide.
Mais comme le destin s’acharne, mon meilleur ami, le mal de crâne, décide de revenir me jouer des tours, et c’est à deux que nous nous rendons à table pour le repas du soir.
Suis-je le seul dans cet état ? Non. Ce repas n’est pas le plus jovial : plusieurs personnes souffrent de la tête, et les assiettes se vident de moins en moins. Certains continuent à manger toujours autant, mais d’autres me rejoignent dans l’équipe “régime” et mangent peu. Je crois avoir mangé deux cuillères de purée ce soir-là — un repas riche avant de partir pour une ascension le lendemain !
Nous regagnons tous le dortoir pour la dernière “nuit” : 20h–0h30. Quatre heures de sommeil au programme. Mais avant de nous coucher, nous échangeons paracétamol, huile essentielle de menthe poivrée ou bagua Florida (décoction locale contre le mal d’altitude) pour tenter de passer une meilleure nuit.
0h30 : réveil, la libération 2. Adiós le mal de crâne.
1h00 : petit-déj — enfin, deux bouts de gâteau et du thé. Très nourrissant pour les six heures de marche à venir !
1h30 : départ dans la nuit. Je suis aux anges. J’adore les départs tôt dans l’obscurité, sous les étoiles. Tout passe plus vite dans le noir. On se pose toujours moins de questions lorsqu’on ne voit rien. Le monde se réduit alors à la surface éclairée par la lampe frontale : quelques mètres carrés à bien observer pour avancer d’un pas sûr et efficace. Rester concentré pour tendre la corde, et il ne reste plus qu’à suivre le guide. Nous marchons une heure… deux… trois… Le temps défile, le sourire au visage. Être en montagne m’avait tellement manqué, et j’ai le luxe de pouvoir me reposer sur le guide.
Marcher à 5000 m, je le découvre, implique pour moi de rester concentré sur ma respiration. Chaque raté pour caler une inspiration sur mes pas, chaque pensée qui me détourne de ma synchronisation me cause une petite suffocation. Pas le droit à l’erreur : la densité de l’air ne pardonne pas !
Mais nous avons notre arme secrète pour nous aider : les feuilles de coca. Bien connues dans les Andes, elles aident à réduire le mal des montagnes. Alors nous gardons, tels des hamsters, des feuilles dans nos joues pour en aspirer le jus tout en montant. Mon compagnon de cordée a même trouvé à La Paz des feuilles aromatisées aux fruits. Très sucrées, elles me font un bien fou et “remplissent” mon estomac, qui peine à avaler des carrés de chocolat.
Nous montons, et il fait de plus en plus froid. Nous passons la grosse doudoune et les gros gants. J’ai l’impression de partir pour l’Everest ! Arrive le passage un peu technique après quatre heures de marche. Le chemin devient tout en glace sur une pente raide (40°). Mettre les mains vers 5900 m pour faire quelques mouvements de glace est éreintant — je n’en reviens pas ! Notre matériel n’est clairement pas le plus technique (piolet droit, crampons plats…), et n’aide pas. Mais en cinq ou six mouvements, me voilà à demander une pause tant je suis à bout de souffle. Nous reprenons ensuite la marche sous les premières lueurs du jour, et cent mètres au-dessus, le sommet se dévoile.
Ultimes efforts, respiration calée, et l’émotion qui monte : nous allons y arriver, ce n’est qu’une question de minutes. Les doutes s’envolent. Vais-je supporter l’altitude ? Vais-je trouver l’énergie nécessaire avec mes maigres repas ? Oui — le sommet est juste là !
6h30 : 6088 m. Accolades, félicitations, photos et lever de soleil inoubliable.
La descente se fera rapidement : deux heures contre cinq pour la montée. Nous aurons alors sous les yeux toutes les aspérités du glacier que nous n’avions pas vues… Séracs et crevasses se révèlent, mais il fait encore froid — cela devrait tenir.
De retour au camp 1, j’ai un peu faim. Une soupe, et nous repartons dans l’heure.
Camp de base : j’ai très faim. Tous mes snacks y passent : une plaque de chocolat et mes barres. L’appétit revient.
La Paz : je suis affamé. Nous célébrons, comme tout alpiniste européen qui se respecte, avec… une raclette ! Le fromage n’était pas aussi goûtu que celui des prairies suisses, mais c’était une conclusion parfaite à ce périple.
Nous reparlons de cette journée, et je ne peux m’empêcher d’admirer les guides : emmener deux à trois fois par semaine des novices au sommet de montagnes… quel courage !!
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