Qui n’a jamais rêvé de vivre sur une plage ?
Lors d’un voyage en Amérique du Sud, début 2020, ma compagne et moi avons découvert les plaisirs de bivouaquer au bord de l’océan. C’est très populaire au Chili et au Pérou, où les gens — familles, amis — se réunissent le week-end ou pendant les vacances pour profiter des immenses étendues de sable du Pacifique. Ils montent de vrais camps, avec tout le matos nécessaire pour se la couler douce : poisson grillé, bières fraîches, bon vin, musique… Bref, profiter de la vie comme il se doit.
J’avais connu un peu cette ambiance ado, ayant grandi au bord de la Méditerranée, à l’époque où les barbecues sur la plage étaient encore tolérés. Mais à la nuit tombée, tout le monde devait rentrer au bercail : bivouac interdit.
Mais cette fois, c’était une toute autre expérience qu’on vivait. Au début, c’était des bivouacs d’une nuit, en remontant la côte chilienne en stop. On se faisait larguer ici et là, et on jetait l’ancre sur des plages sauvages exceptionnelles. Et quand je dis “sauvage”, le mot est juste : sites archéologiques à ciel ouvert, squelettes de dinosaures, cratères de météorites, lions de mer, otaries, dauphins, pélicans… Et tout ça sans la moindre trace de tourisme de masse. Pas de défilé de selfies. Un vrai monde préhistorique, brut, pour nous tout seuls.
Petit à petit, cette ambiance nous a donné envie de pousser l’expérience un peu plus loin. Cette fois, on voulait se poser. Planter les piquets et rester. Le plus longtemps possible. Sur une plage isolée.
Bien sûr, un tas de questions nous trottaient dans la tête. Est-ce qu’on tiendrait ? Est-ce qu’on aurait assez d’eau ? Assez de bouffe ? Bref, le genre de questions qui, au fond, ne servent à rien. Car après tout, comment vivre une vraie aventure si tout est contrôlé ?
Alors on a fait simple : les moyens du bord, un peu d’expérience, et du bon sens.
Pas de réseau, pas de téléphone. Coupés du monde, pour de vrai. Et ça, ça change tout. Parce qu’aujourd’hui, être vraiment déconnecté, même à l'autre bout de la planète, c’est devenu rare.
Au final, ça n’a pas duré très longtemps. Dix jours. Mais en vrai, ces dix petits jours nous ont paru bien plus longs.
Mais avant cela, il y a eu des haltes, des bivouacs, des trajets en stop, et de belles rencontres. L’hospitalité chilienne est incroyable.
Pourquoi en faire un article ? Eh bien, pour partager cette expérience. Nos erreurs, nos apprentissages, nos réflexions avec la communauté. Parce qu’on a trouvé peu de récits de ce genre.
Repérage, critères, et réglementation
Nous débarquons au Pérou après avoir bien profité de l’ambiance chilienne. Plus précisément, on atterrit à Paracas, une petite bourgade bien sympathique, qui sert d’entrée à une immense réserve naturelle.
Le coin est favorable à la retraite. On est en février, et il y a très peu de touristes.
On flâne quelques jours en ville. Le marché, les pêcheurs, les ceviches délicieux. La vie est lente ici, et ça nous va très bien.
On se balade pas mal dans la réserve. On s’imprègne du lieu, on scrute tous les recoins, à moto, à vélo. Pour visualiser un peu : imaginez le Pacifique d’un côté, avec des îles sauvages battues par les vagues, recouvertes de guano et d’animaux en tout genre — et de l’autre, le désert. Des kilomètres de sable, de dunes et de cailloux, un décor presque lunaire. Le soleil cogne très très fort, l’ombre se fait rare : faut vraiment être un peu fou pour aller griller sur une plage du coin…
Nos critères de recherche sont les suivants :
Tout d’abord, un coin à l’abri du vent (enfin… c’est ce qu’on croyait !), assez plat pour planter la tente (le sable peut se niveler, au pire), une exposition au soleil modérée — impossible, mais avec une option d’ombre accessible pas trop loin —, éloigné des passages et des accès à la plage, et surtout suffisamment loin du rivage pour éviter les risques de marée ou de grosse houle. On garde aussi un œil sur un éventuel accès pour s’échapper rapidement… au cas où un tsunami s’inviterait (On est jamais trop prudent !).
Et puis, il faut accepter qu’au fond, le spot parfait n’existe pas. Il y a toujours une part d’inconnu, et c’est aussi ça, l’aventure. Mais quand on décide de côtoyer Dame Nature d’un peu trop près, mieux vaut toujours garder en tête qu’un danger peut surgir.
Aspects réglementaires :
Bien entendu, on se renseigne auprès des autorités locales. On veut connaître les règles du parc, savoir ce qui est toléré ou interdit. D’autant qu’on sait que la zone est protégée, et que la faune locale est sensible. Notre présence doit rester discrète.
On apprend que certaines zones de bivouac sont tolérées si l’on respecte une distance minimale de certaines plages ou îlots protégés.
Conseils de base pour un bivouac discret, durable et sécurisé
Ça peut paraître évident pour certains, mais ça ne l’est pas pour tout le monde — et c’est important de le rappeler.
On est pas parfait, mais on essaie de faire de notre mieux, en tenant compte des risques et des enjeux écologiques, c’est une forme de respect, autant pour la nature que pour ceux qui viendront après nous.
Avant d’installer votre campement :
La nature est souveraine, et on est juste de passage.
Tout d’abord, il faut préciser que notre matériel, bien que polyvalent et de bonne qualité, reste celui de tous les jours — rien de vraiment spécifique à cette aventure. Malgré nos expériences passées, ce bivouac représentait un vrai palier. On y allait donc avant tout pour apprendre.
Revue rapide du matos et des vivres embarqués : l’essentiel pour vivre sur la plage
Nos sacs à dos étaient déjà bien remplis, alors la plupart des vivres ont été transportés à la main, dans des sacs de provisions, avec un cubi de 30 litres d’eau sur l’épaule. On s’est fait déposer pas loin du spot en autostop — clairement, on n’est pas dans un article sur l’ultra-light !
Cela dit, vous verrez vite qu’il n’y avait pas de place pour le superflu...
LISTE MATÉRIEL
Je n’ai pas les quantités exactes de chaque élément, mais partez du principe que nous avons survécu 10 jours en nous rationnant.
Une tente 2 places compacte.
Deux tapis de sol type yoga. Avec le sable moelleux, pas besoin de plus.
Duvet synthétique confort 15 degrés, qui n’a pas posé de problème pendant le périple. Pour les nuits fraîches, on restait habillés, en plus de la doudoune.
Pour les oreillers, on utilise généralement des vêtements inutilisés, qu’on bourre dans un ziploc ou un stuff sack. Cette fois, avec le sable, on avait un oreiller sur mesure.
Lampes frontales à piles, très peu utilisées, nous avons surtout vécu avec le soleil.
Aucun moyen de recharger, mais les téléphones sont restés éteints au fond du sac.
Maillot de bain, baskets, tongs, lunettes de soleil, tee-shirt manche longue (important pour se protéger du soleil), et quelques vêtements de tous les jours pour le voyage.
Kit de base : brosse à dents, savon type Alep multi-usage (dents, peau, cheveux, vaisselle...), crème solaire.
Basique, type bobologie (à optimiser selon les activités envisagées), plus deux couvertures de survie (protège aussi du chaud, mais attention à ne pas se tromper de sens !).
Une popotte pliable avec couvercle, verres pliables, un thermos, un kit de couverts, un réchaud pliable, quelques cartouches de gaz, 2 briquets.
Pâtes, soupes en sachet, fruits secs, fruits en conserve, miel, café, oléagineux, huile d’olive, lait en poudre, kit d’épices (sel, poivre, sauce soja...), panela (sucre de canne complet).
Un cubi de 30 litres.
Paracorde, duct tape, un multitool, quelques pinces à linge et épingles à nourrice, super glue, des bougies, 2 boucles de serrage, mini kit de couture.
Un carnet, plusieurs stylos.
Notre camp de base face à l’océan
C’est en autostop que nous quittons Paracas, chargés comme des mulets. Le conducteur a du mal à croire qu’on s’enfonce dans cette fournaise, mais il nous dépose au plus près du spot.
Arrivés au bout de la plage, une dune forme un balcon naturel adossé aux rochers. On est suffisamment reculés, avec un accès direct au désert derrière.
Nous voilà seuls au monde, face au Pacifique, dans un environnement hostile mais fascinant. On file se baigner, curieux des surprises que cette carte postale peut cacher.
Retour et conseils
Installation et premiers ajustements
Première étape : niveler le sol avant de planter la tente. Oubliez les sardines classiques : dans le sable, elles ne tiennent pas. Le plus simple, c’est de créer des ancrages solides avec des pierres ou tout objet lourd, en les enroulant de corde — une méthode efficace sur tous types de sols meubles.
S’il n’y a pas de rochers, on peut aussi creuser un trou, y enterrer une branche reliée à la tente par une corde, puis recouvrir de sable (ou de neige, selon la saison). Et si vous n’avez rien de tout ça… eh bien, laisser place à la créativité.
Côté cuisine, on a creusé un abri sous les rochers pour se protéger du vent (et espérer un peu d’ombre), avant de monter une petite terrasse en pierres. Le mot d’ordre : utiliser tout ce que l’océan et la nature peuvent offrir.
1. L’eau, élément vitale et rationnement
Nous ne savions pas combien de temps nous allions rester, donc le plan était de se rationner sans pour autant se mettre en danger. Rationner son eau dans ces conditions, ça peut vite devenir risqué. Il fallait donc rester attentif : mal de tête, bouche sèche, peau qui reste pliée quand on la pince… des petits signes à ne pas négliger.
Une journée type : deux cafés le matin (attention, à limiter pour éviter la déshydratation). On buvait l’eau des pâtes pour ne rien perdre, en plus ça cale un peu. Deux verres de lait réhydraté pour le goûter, quelques verres d’eau dans la journée, une soupe le soir, et une mini gorgée pour se brosser les dents.
Nous avons récupéré deux grosses bouteilles plastiques rejetées par l’océan, que nous remplissions d’eau de mer et stockions au camp. Elles servaient pour la vaisselle, pour se doucher le soir, et pour se rincer du sable avant de rentrer dans la tente. Mais aussi pour arroser notre « jardin » (plus de détails dans les chapitres suivants).
Au final, nous avons tenu 10 jours, soit environ 3 litres d’eau par jour pour deux, y compris la cuisine.
2. Planification alimentaire
Nous avons acheté tout ce qui était humainement possible de transporter avec nous jusqu’à la plage, sans avoir besoin d’un hélico. Il fallait pouvoir emmener un combo efficace en termes de préparation, nutriments, satiété, et bien sûr, de goût.
Évidemment, il fallait prendre en compte la chaleur et l’absence de frigo, donc du sec, peu périssable.
Nous mangions directement dans la popotte afin de limiter la vaisselle.
Menu :
Petit déjeuner : mix oléagineux, fruits secs.
Déjeuner : pasta party (préparée avec de l’huile d’olive, des épices, un peu de sel et poivre).
Encas : fruits secs, oléagineux, un verre de lait, miel.
Dîner : pasta party, soupes et une conserve de fruits frais en dessert pour deux (aliment plaisir).
On note un manque net de vitamines, de protéines et d’autres nutriments, mais sur 10 jours, les effets restent légèrement notables.
3. Gestion des déchets alimentaires
Peu de déchets, grâce à une préparation en amont : emballages retirés, denrées reconditionnées dans des ziplocs ou bouteilles.
Aucun déchet organique : tout ce qu’on transportait se mangeait, et on ne se faisait pas prier pour finir nos assiettes.
Pour les besoins : des trous creusés à bonne distance, recouverts après usage. Pas de papier toilette, uniquement de l’eau de mer.
Enfin, on en a profité pour nettoyer une partie de la plage, pas joli joli... (voir point détaillé plus loin).
Le rythme imposé par le soleil et le vent
Pas de montres, pas d’écrans. Nos journées étaient dictées par les éléments : lever avec le soleil, coucher avec lui.
Le matin, la lumière perçait la toile dès l’aube, le mercure montait vite. Inutile d’espérer une grasse mat’ : la tente devenait vite invivable. Baignade, café en observant les pélicans, et on partait en chasse des rares coins d’ombre.
Côté météo, le vent a été impitoyable. Il se levait tôt et soufflait sans relâche, rendant chaque tâche difficile — cuisiner, nettoyer, etc… Bref, une véritable épreuve. À garder en tête pour tout camp en bord de mer : prévoir une bonne protection, et un mental d’acier.
L’après-midi, il ne restait qu’à observer, se poser, apprendre à ne rien faire. Ça peut paraître long, mais c’est une vraie école — qui fait beaucoup de bien.
Le corps, lui, s’adapte vite. Accroupis, en tailleur, à moitié pliés toute la journée… et pourtant, aucune douleur. Au contraire : on retrouve de la souplesse. Même les douches à l’eau de mer finissent par devenir des alliées. Une fine pellicule salée reste sur la peau — étonnamment efficace contre les coups de soleil, les irritations et les odeurs.
Le soir offrait un vrai répit. Baignade nue dans les vagues au coucher du soleil, dîner, parfois un feu. Puis très vite, le sommeil nous emportait, porté par le ressac et la bonne fatigue d’une journée dehors.
Une aventure riche en découverte
Une routine s’est installée. L’exploration des calanques est devenu notre jeu préféré, une vraie chasse au trésor, dans un parfum sauvage d’algues et de guano.
On tombait sur des ossements, des fossiles emprisonnés dans la roche, des restes de bateaux échoués, des autels ornés d’offrandes, de prières et de photos.
On s’est aussi mis à collecter les déchets. Impossible d’ignorer tout ça : filets, bidons, plastiques ramenés par l’océan. Ce n’est pas grand-chose à l’échelle de la pollution marine, mais sur notre petit bout de plage, ça comptait beaucoup.
Parfois, je me suis amusé à partir courir dans le désert, une sensation de liberté incroyable.
Les moments d’exploration étaient entrecoupés de pauses contemplatives. Assis à l’ombre, on observait les courants, les oiseaux, le ciel, parfois une otarie au loin, ou des dauphins. Une chance inouïe de pouvoir assister à ce spectacle de la nature.
Sur le camp, on a entrepris de créer un jardin marin sur le campement : algues, coquillages, carapaces de crustacés... Puis une terrasse en pierre, pour limiter l'entrée du sable dans la tente. Bref, un vrai musée, à l’odeur bien prononcée, que l’on arrosait régulièrement pour ôter le sable et hydrater les algues. Au fil des jours, on a créé notre petit écosystème qu’il a été difficile de quitter.
Malgré la préparation, certains détails ne se révèlent qu’une fois sur place. Et sur une plage isolée, pas question de courir au magasin.
L’inconnu de la durée nous a poussés à surveiller la consommation dès le départ. Le défi : ne pas se priver au point de flancher, tout en faisant durer les 30 litres embarqués. Quelques signes de déshydratation sont apparus (bouche sèche, fatigue), vite corrigés en réajustant les quantités et en limitant l’effort aux heures les plus fraîches.
Pâtes, pâtes, pâtes… Monotone, certes, mais pour nous, ce n’était pas le plus compliqué : on a l’habitude. Ce qui a vraiment pesé, c’était le rationnement, avec un apport calorique trop bas — dur pour le moral. Ça demande beaucoup de discipline. Le miel ou les fruits en conserve faisaient office d’« aliments plaisir », bienvenus pour casser un peu la routine.
La préparation des repas devenait un vrai défi à cause du vent et du soleil de plomb. On a improvisé des protections de fortune avec des pierres et du carton, enfoui le réchaud pour protéger la flamme. Cuisiner dans la tente ? Impossible d’y rester plus de deux minutes, un vrai sauna !
Chaque déchet devait être sécurisé, stocké dans des sacs fermés, pour éviter les odeurs, la venue d’animaux. Le tout était suspendu à un rocher.
Chaque jour, il fallait adapter quelque chose : déplacer la réserve d’eau pour éviter l'exposition au soleil, réorganiser la cuisine pour plus de confort, barricader la tente contre le sable, doubler les fermetures avec des pinces à linge, etc.
Même avec une bonne préparation, il y aura toujours des surprises. Ayez toujours de quoi vous dépanner en cas de pépin.
Reconditionnez tous les aliments dans des sacs ziploc, éliminez les emballages inutiles.
Prévoyez des repas faciles à préparer, énergétiques et peu périssables. Pensez aux « aliments plaisir » : ils ont un vrai rôle mental dans l’effort.
Emportez des sacs poubelles solides. Anticipez la gestion des déchets dès la préparation : moins vous en aurez, plus ce sera simple. Et surtout, ramenez tout avec vous.
Tente, réchaud, lampes… tout doit être testé avant. Un test bivouac dans des conditions proches du terrain est toujours un petit plus.
Ce qui a bien fonctionné :
Ce qui mérite d’être amélioré :
En résumé, cette aventure a été un vrai laboratoire : on y a testé nos limites — physiques, mentales, logistiques — mais aussi notre capacité d’adaptation, d’improvisation, de lâcher prise. Les erreurs, comme les petits ajustements au fil des jours, font partie du jeu. Chaque expérience sert la suivante.
Et au-delà de tout ça, elle a laissé une trace plus intime. Mais ça, c’est une autre histoire.
Une thérapie sauvage, qu’on devrait pouvoir prescrire. Ordonnance : dix jours sur une plage isolée. Un traitement naturel qui ferait du bien à beaucoup. Remboursé par la Sécu, idéalement...
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