Depuis quelques années deux nordistes ont imaginé, dessiné, tracé et organisé une course inédite en France. Une traversée de la France en Gravel/VTT en autonomie quasi totale, sans aucune assistance, ni celle des autres concurrents.
Pas de classement, pas de podium, seul le défi d'atteindre le petit village de Mendionde au coeur du pays basque, en un maximum de 14 jours. A chaque édition un max de 100 participants et un pourcentage de finisheuses et finishers à la hauteur de l'exigence de l'épreuve.
Cette édition 2025 partant de Strasbourg, le parcours ressemble à une diagonale traversant les Vosges, le Jura, le Morvan, la région des puys, le Massif central, les Cévennes, le haut Languedoc, les Corbières, l'Ariège et le pieds des Pyrénées.
Les chiffres font peur: plus de 2000 kms et 40 000 m de D+, et bien sûr quasiment pas d'asphalte, du chemin, du single, et cette année particulièrement de la boue...les 8 premiers jours vont être roulés sous des pluies diluviennes, rendant le tracé bien plus exigeant, les heures de pédalage de jour et de nuit bien plus physiques, et les nuits ou les heures de repos bien plus compliquées.
Chacun et chacune va vivre une expérience différente, car très vite les participants vont s'espacer au rythme des cadences de pédalages et des moments de repos choisis par les un(e)s et les autres.
Nous allons en prendre plein les yeux, les paysages sont grandioses, certaines parties semblent même n'avoir jamais été foulées par l'être humain. Nous pédalons des heures et des heures sans rencontrer une âme qui vive, sans traverser le moindre hameau.
Tous les jours il faut rouler entre 12 et 15 heures afin de parcourir environ 150 kms, pas un chiffre extraordinaire, mais sur des chemins escarpés, des singles ravagés par la pluie, des pourcentages qui feraient pâlir un coureur du Tour de France, et parfois même du franchissement tellement la végétation reprend vite ses droits.
L'autre défi est le ravitaillement, en eau tout d'abord, mais aussi en nourriture, en espérant traverser les villages aux bonnes heures, à penser aux jours fériés et aux dimanches, surtout ne pas se retrouver au milieu de nulle part en panne d'eau ou sans rien pour manger.
Une fois la gestion des ravitaillos organisée, il faut penser à trouver des lieux pour se mettre à l'abri, afin de se reposer voire de dormir quelques heures. Mais là le défi est de taille, nous devons déterminer à quel moment opportun s'arrêter, éviter de devoir s'arrêter à plus de 1200 m d'altitude car ce mois de juin 2025 est traitre. Je vais l'apprendre à mes dépends avec trois nuits à claquer des dents malgré mon sac de couchage, mon bivy et mon tarp. Une nuit au froid et sous l'humidité c'est une journée de plus à rouler avec des vêtements mouillés, avec le cumul d'une fatigue qui vient tenailler de plus en plus vos muscles.
Et que dire des montées sans fin à pousser le vélo pendant des heures car la pente et la difficulté technique du tracé ne permet pas de monter en pédalant. Je vais là aussi payer l'addition, un mauvais choix de braquet (vitesses disponibles pour rouler) va me rendre la tache moins aisée, et des chaussures un peu trop typées compet' (semelle rigide) vont faire ressurgir de vieilles tendinites.
En me rapprochant de chez moi (région biterroise), je pense que le plus dur est fait et qu'en forçant un peu le rythme je vais pouvoir rattraper le temps perdu à travers les évènements imprévus tout au long de l'aventure.
Après 13 jours de roulage, de grosses galères de GPS, une demi journée perdue à cause d'un soucis d'incompatibilité de plaquettes de freins, de mauvais choix de spots de bivouac venant réduire la récupération, et quelques tendinites...je vais remarquer que mes constantes cardiaques montrent des signes importants de fatigue.
Un cardio qui reste assez haut malgré le niveau moyen d'effort, un palpitant qui s'emballe à la moindre difficulté, un manque de lucidité en pleine descente ultra roulante, et un rocher évité de très peu à plus de 70 km/h...un ensemble de constats qui me pousseront à prendre la décision de mettre le clignotant
Après 1650 kms et 32 000 m de D+, je prends la décision d'appeler ma compagne et de lui annoncer que je vais stopper là. Très déçue pour moi, mais consciente que j'avais pris cette décision sans frustration, elle viendra me récupérer certainement plus déçue pour moi que moi-même.
Deux semaines après cette fin prématurée, cette aventure restera pour moi comme le défi physique et mental le plus difficile que j'ai pu vivre lors d'une course. Ce sentiment est toutefois sublimé par la beauté des paysages traversés, par le partage, et le changement de rapport humain que peut provoquer la participation à ce genre d'épreuve...tous les participants et participantes ont leurs anecdotes, mais dans la plupart des moments de détresse, chacun et chacune d'entre nous a pu trouver quelqu'un qui est venu lui tendre la main, lui ouvrir son chez lui, partager son eau ou quelques denrées...
Une preuve que l'humanité peut encore nous surprendre ;)
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